
« Pourquoi les femmes ? Et pourquoi pas les hommes ? Et un groupe mixte ? Vous êtes féministes ? Oh moi, mon groupe n’est pas féministe ! »
« Nous, on s’adresse à tout le monde ! »
« Et pourquoi pas un groupe mixte ? »
« Beaucoup d’hommes sont aussi très isolés, le taux de suicides augmente et il n’y a rien pour eux! »
Ce sont les questions qui m’ont été souvent posées et réflexions souvent entendues. Alors pourquoi un groupe de femmes ou en non-mixité choisie ?
La question de la mixité ou non-mixité choisie se pose encore régulièrement au sein de l’équipe notamment lors de l’organisation des balades et des différentes activités. C’est pourquoi il est intéressant de s’arrêter un instant sur cette notion de non-mixité choisie.
La non-mixité choisie fait l’objet de critiques, car elle est parfois jugée comme excluante ou contre-productive et apparait de nos jours comme cataloguée de mouvement féministe ou de communautarisme.
Le choix de travailler en non-mixité genrée choisie (càd exclusivement avec des personnes qui se qualifient de genre féminin) a, au départ de la création de l’ASBL Rêv’Elles, pour objectif d’inclure facilement les femmes d’origine musulmane, et de se sentir légitime de partager sur notre vécu de femme. Et puisque notre « outils d’émancipation » est le partage de nos expériences, il est plus aisé pour nous de partir de notre condition de femme dans la société.
En quoi est-ce qu’un groupe exclusivement féminin favorise l’échange, l’intégration et le changement ?
La féministe Irène Kaufer décrit la non-mixité choisie, comme « des espaces momentanés et ponctuels réservés aux personnes partageant un même vécu particulier, notamment lié à une discrimination systémique, excluant de ce fait les personnes jugées oppressives. Ainsi, cela concerne des évènements mettant en relation des personnes vivant une situation commune » (Analyse du CPCP sur les enjeux de la mixité et de la non-mixité p12)
Dans une analyse sur les enjeux de la mixité et de la non-mixité du CPCP (Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation) de Roxane Lejeune, la non-mixité choisie a deux objectifs principaux:
- La création de safe space/espace sécurisé permettant la liberté de paroles et la création d’espace d’émancipation. C’est se permettre d’être dans une bulle en dehors des oppressions quotidiennes.
- Une réunion en non-mixité permet d’engager des discussions plus approfondies sur des bases communes, des vécus communs sans perdre du temps à s’expliquer ou se justifier.
Ainsi, imaginez une réunion mixte pour des personnes victimes de violences sexuelles où leurs paroles sont mises en doute, où elles sont sommées d’expliquer, à des hommes, en quoi leur vécu relève vraiment d’une agression sexuelle. En plus d’une perte de temps certaine, cela participe également à une reproduction de domination masculine.
Roxane Lejeune, dans son analyse sur les enjeux de la mixité et la non-mixité, ajoute qu’ « il semble également apparaître que lorsque qu’une personne appartenant à une position de domination est présente, la parole et la participation des personnes appartenant à une minorité soient bridées et limitées. Ainsi, dans une perspective de genre, la participation des femmes à des réunions ou des évènements en mixité peut être mise à mal par les hommes présents, et ce pour plusieurs raisons ». (CPCP – analyse des enjeux de la mixité et la non-mixité p15)
Il serait intéressant de préciser que cette dynamique de groupe au féminin peut être saisie du concept d’intersectionnalité indiquant qu’on n’est pas seulement femme, mais qu’on peut également être une femme racisée, issue d’un milieu précaire ou non, homosexuelle et/ou handicapée par exemple.
Ces multiples identités, parfois sujettes à discriminations ou privilèges, doivent être prises en compte dans les groupes en non-mixité choisie afin de parfaire l’égale participation de chacune. (CPCP p20)
Carole V., animatrice chez Vie Féminine argumente le choix de la non-mixité de la manière suivante : « Le travail en non-mixité entre femmes, c’est permettre à des femmes de pousser la porte et de venir dans nos ateliers alors qu’elles ne le feraient pas ailleurs pour plein de raisons, ne serait ce que de se sentir à l’aise, partager les mêmes expériences de vie et aussi parfois, lorsqu’on est en couple, il n’est pas facile de sortir faire des activités et le fait d’être entre femmes réduit la surveillance dont elles font l’objet.»
La non-mixité permet aux femmes d’acquérir plus de confiance en elles, en leurs capacités, leur potentiel, de les rendre plus sûres d’elles.
Et dès lors l’échange d’expériences jusqu’alors vécues isolément permet de faire groupe, de susciter une solidarité entre les participantes et de politiser la question « femmes » (article les groupes de paroles ou la triple concrétisation de l’utopie féministe – Cairn info -Marion Charpenel )
Mais pour que la mixité et/ou la non-mixité soient émancipatrices, elles doivent être choisies en fonction des objectifs à atteindre. La non-mixité choisie est une technique d’émancipation. Ce n’est pas une idéologie ou un but en lui-même, mais une manière de s’organiser, de créer un lien de confiance.
Plutôt que d’être perçu comme une forme de repli communautariste et de mouvement de protestation, la non-mixité choisie doit être vue comme une manière de se définir en tant que femme, de permettre la libération de la parole, de créer un espace sécurisant.
La non-mixité est un outil qui permet de donner voix à des thématiques partagées par un même groupe d’individus en permettant de lever le voile sur certains tabous. Elle n’est pas une fin en soi, mais un moyen de se sentir reconnue et écoutée.
Ce qui n’exclut aucunement la parole des hommes et bien au contraire, il est intéressant de la prendre en considération. Il existe pour cela des espaces, des moments adéquats et comme dit plus haut, tout dépend de l’objectif recherché.
Article écrit par Mireille Serron – coordinatrice de l’ASBL Rêv’Elles
Sources:
http://www.cpcp.be/wp-content/uploads/2022/03/mixite-non-mixite.pdf
https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2016-1-page-15.htm
http://- https://educationsante.be/des-espaces-de-non-mixite-au-service-de-lautodetermination/
https://moisdugenre.univ-angers.fr/2022/02/24/non-mixite-mixite-choisie/
Un commentaire
bravo pour cet article qui dit et explique l’importance de la non-mixité dans l,asbl rev’elles.